Ma vie en synesthésies
Depuis mon adolescence, je vois la vie en synesthésies… Ce mot, je l’ai découvert grâce à ma prof de français de classe de 1e… ou était-ce au collège ? En tout cas, c’est à l’école, dans la bouche d’une enseignante que j’ai entendu ce mot pour la première fois et depuis, il me colle à la peau. Il est comme une matrice, un logiciel, une langue à travers laquelle je lis et comprends le monde.
En tant qu’élève, j’avais lu et étudié le fameux sonnet de Baudelaire, Les Correspondances, dont j’avais fait un commentaire composé. Je me souviens de l’extase que j’avais éprouvée à entrer dans la plume du poète et analyser ses effets synesthésiques !
Ce fut pour moi une épiphanie : Baudelaire trouvait les mots pour dire ce que j’avais toujours ressenti sans le formaliser ni le formuler, à savoir que la vie ne prend sens pour moi que dans ce mélange entre tous les sens, toutes les perceptions sensorielles dont l’humain est doté ! Je me souviens, quand notre prof de français nous éclaira en disant que Baudelaire créait, par l’écriture poétique, des synesthésies, ce fut pour moi comme un réconfort car on mettait un mot là où j’avais toujours eu une intuition.
Le mot “synesthésie” était imprimé dans le dictionnaire de mon cerveau, à jamais !
Ce mot “synesthésie” me plaisait d’autant plus qu’à l’époque j’étais déjà helléniste et que j’adorais apprendre le grec ancien car il me donnait accès à l’étymologie de nombreux mots de notre français moderne. Ainsi, j’apprenais que “synesthésie” est emprunté du gr. qui est l’action de percevoir une chose en même temps qu’une autre, sensation ou perception simultanée.
Mais avant d’aller plus loin dans l’archéologie du sens du mot, lisons Baudelaire. Sentez par vous-même :
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
Que nous dit le Trésor de la Langue Française dans sa définition de la synesthésie ?
SYNESTHÉSIE, subst. fém.
A. PATHOL. Trouble de la perception sensorielle dans lequel une sensation normale s’accompagne automatiquement d’une sensation complémentaire simultanée dans une région du corps différente de celle où se produit l’excitation ou dans un domaine sensoriel différent. Par les voies d’associations nombreuses qui relient les centres de l’audition aux autres centres, la sensation auditive donne naissance à des incitations diverses: réflexes moteurs (oculaires; statiques ou d’orientation; respiratoires; etc.); réflexes sensitifs ou synesthésies (audition colorée); réactions émotives (sécrétions; mimiques; troubles vaso-moteurs (…)) (Arts et litt., 1935, p. 34-8). L’intoxication par la mescaline, parce qu’elle compromet l’attitude impartiale et livre le sujet à sa vitalité, devra donc favoriser les synesthésies. En fait, sous mescaline, un son de flûte donne une couleur bleu vert, le bruit d’un métronome se traduit dans l’obscurité par des taches grises (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 263).
B. PSYCHOL. Phénomène d’association constante, chez un même sujet, d’impressions venant de domaines sensoriels différents. On ne saurait considérer les synesthésies comme un symptôme toujours morbide, puisqu’il peut exister à l’état normal, soit par un mécanisme d’élaboration intellectuelle rationnel, soit comme une manifestation affective plus marquée dans certaines personnalités (POROT 1975).
Que nous dit le Larousse ?
Synesthésie, nom féminin (grec sunaisthêsis, perception simultanée)
Expérience subjective dans laquelle des perceptions relevant d’une modalité sensorielle sont régulièrement accompagnées de sensations relevant d’une autre modalité, en l’absence de stimulation de cette dernière (par exemple audition colorée).
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Depuis, toutes mes créations artistiques sont infusées dans ce bain synesthésique. Mes webséries jonglent entre auditif, visuel, tactile. Mes peintures jonglent entre visuel, kinesthésique, mes cartes-miroirs jonglent avec tactile, olfactif, visuel…
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Quand j’ai déménagé en Californie dans les années 2004, mon envie de faire fleurir ce langage synesthésique n’a fait qu’augmenter de plus belle car là-bas, je baignais dans un champ de créativité et d’innovation tous azimuths (c’était juste avant la naissance de Facebook !). De nombreux événements culturels avaient lieu dans la ville où je vivais à San Diego et les idées foisonnaient et se manifestaient dans ce mélange des genres, mélange des sens, mélange des arts. Je me souviens, à l’époque, avec ma soeur qui vivait avec moi à l’époque, nous rêvions de pousser le concept de la synesthésie plus loin en créant des lieux et des événements. À l’époque, nous avions créé notre marque de bijoux qui s’appelait French Sisters et nous organisions des showrooms pour vendre nos créations.
Des projets sont en cours sur le chemin synesthésique !
Je vous tiendrai informés de la suite…