J’entre dans ma dernière semaine de résidence d’écriture en Allemagne. Que de chemin parcouru ! Plus les jours ont passé, plus j’ai lu, écrit, voyagé, plus l’objet de ma quête s’est précisé, plus le sens s’est aiguisé. Écrire, pour moi, ce n’est pas seulement prendre le stylo et me mettre devant mon cahier ou bien ouvrir un nouveau document vierge et jouer du piano sur mon clavier. Écrire, pour moi, c’est bien plus qu’un simple geste mécanique de mon corps, bien plus qu’un remplissage d’espace. Écrire, pour moi, c’est partir à la rencontre de moi-même. C’est un long et profond voyage dont je n’ai pas l’itinéraire au début, dont je ne connais pas les étapes à l’avance. Je pars dans l’inconnu. Enfin, je pars avec ce que je sais déjà de moi ou que je crois savoir de moi… Car qui peut prétendre véritablement se connaître ? C’est là le premier pas d’humilité. Quand j’écris, je pars dans ce voyage d’humilité. Je pars sans savoir grand-chose et en faisant confiance. Que sais-je tout de même ? Je pars en sachant que l’imprévu m’attend. Je pars en sachant que je tomberai parfois sur le chemin. Je sais que je me relèverai aussi, avec un bobo au genou et au coeur sans doute. Je pars en sachant que le chemin ne sera pas tout goudronné et lisse. Je pars en sachant que je ferai d’innombrables rencontres sur ma route, car la terre n’est pas vide d’humains ni d’animaux, ni d’insectes, ni d’arbres, ni de vents… Je pars car je ne peux faire autrement que de partir. Je ne suis pas faite pour demeurer trop longtemps sans voyage. Écrire, pour moi, c’est honorer le mouvement qu’est la vie, la nature dont je fais partie. J’écris avec les lettres de l’alphabet car apparemment c’est un de mes dons. Mais on peut écrire sans stylo ni ordinateur, sans être écrivain.
On écrit tous dans sa tête. Ne l’avez-vous pas remarqué ?
On écrit le roman de sa vie, l’épopée de sa vie, la tragédie de sa vie, le thriller de sa vie, la comédie de sa vie.
Mes livres, tout comme ma vie, sont un mélange de tous les genres. Pas de mono-genre dans ma vie. C’est ainsi. C’est ainsi que j’écris. C’est ainsi que je vis. L’écrivaine Michèle Rakotoson rencontrée à Madagascar en octobre 2019 m’avait interviewée sur sa radio pour parler de mon roman “Nous sommes les ancêtres de ceux qui ne sont pas encore nés”, peu de temps après ma conférence à l’Alliance Française d’Antananarivo. Elle avait eu ses mots qui m’ont marquée car ils disent mieux que moi ce qu’est mon écriture et ma vie. “Tu as une écriture qui ressemble tout à fait au jazz”. Effectivement, ce que j’écris et ce que je vis, tout comme le jazz, est difficile à définir puisqu’on y trouve les ingrédients et la forme de ce genre musical hybride qui s’éloigne de la structure de la musique occidentale : l’improvisation, la spontanéité, la vitalité, le développement d’une expression personnelle, quelque chose qui se déploie dans différentes ramifications et ne s’arrête jamais…
Ces deux mois en résidence approchent de leur fin. Alors je savoure la fin de cette variation de jazz franco-allemand. J’ai vécu totalement dans le flux des marches, découvertes, rencontres, programmations et improvisations. Ce fut un miracle de révélations chaque jour. Ce mode d’être “jazzé” est ma joie de vivre. Je ne me permettrai pas de l’imposer à quiconque. Elle me convient à moi et je vois bien que la société occidentale dans laquelle je suis née ne vient pas dans cette gamme. Mais, pour filer la métaphore musicale, on dirait que la pandémie est venue créer une mutation entre ma manière de voir, de vivre, d’écrire et la manière occidentale. S’agit-il du mariage inespéré entre la vision planificatrice et la vision improvisatrice ? Mais non. Je me dois de sortir du binaire. Le binaire est mortifère, vous avez vu ? Vous avez compris ? D’ailleurs, pour continuer de filer la métaphore musicale et pour ceux qui connaissent le solfège, personnellement je change perpétuellement de mesure : mesure à deux temps, mesure à trois temps, mesure à quatre temps, mesure à cinq temps ! Cela demande d’adapter mon pas constamment. Je sais et j’aime changer le tempo. Ainsi, ma résidence a muté et changé de tempo indéfiniment pendant ces presque deux mois et je compte bien préserver ce mode d’être par la suite !
Que rapporterai-je chez moi de ces deux mois dans une bulle créative ?
Je vous le dirai quand je serai rentrée…
Mon improvisation jazz du voyage ces derniers jours s’est déployée dans deux villes : Darmstadt d’abord. Voici la place de sa vieille mairie :
Son immeuble construit par Hundertwasser, architecte organique que j’avais eu la joie de découvrir à Vienne il y a plus de quinze ans :
Son bijou de chapelle russe dont je suis tombée amoureuse : Russische Kapelle tellement je la trouve mignonne !
L’ange du Vortex Garten où j’avais la tête qui tournait, tellement les mandalas et fractales agissaient puissamment dans ce jardin ésotérique et artistique dont je vais m’inspirer pour mon propre jardin. J’avais l’impression que cet ange était venu jusqu’à moi depuis la Playa de Burning Man…
J’ai entendu sa voix, il m’a sommé de poursuivre mon oeuvre “jazzée” sans quoi…
Mon improvisation jazz du voyage ces derniers jours s’est déployée aussi à Wiesbaden où j’étais déjà venue sur le chemin de Néron et pour visite l’église orthodoxe. Cette fois, ce fut la place du marché un dimanche ensoleillé, avec la sublime cathédrale qui semble se préparer à décoller vers les Cieux :
Aujourd’hui, je pars en vadrouille à la campagne. Je vous jouerai bientôt la suite de mon impro-jazz !
Bon dimanche à vous.